En occident, le bouddhisme est le plus souvent considéré comme une philosophie alors qu'en  Asie, c'est une religion à part entière. Essayons de comprendre pourquoi et d'apporter une réponse étayée au débat. Qu'est-ce qu'une religion ?  Une religion est un ensemble de croyances ou de dogmes définissant le  rapport de l’homme ou d’un groupe social avec le sacré. Cela  s’accompagne de pratiques et de rites propres à chacune de ces  croyances et d’une adhésion à une doctrine. On peut également définir la notion de religion comme la reconnaissance  par l’être humain d’un principe supérieur duquel dépend sa destinée et  l’attitude intellectuelle et morale qui en résulte.  Le bouddhisme offre une morale et une éthique  Les sociétés chrétiennes ont développé des systèmes éthiques et des lignes de conduite pour  enseigner aux gens ce qui est bien et ce qui est mal, afin d'éliminer le mal. C'est le cas de toutes  les grandes religions théistes.   Le bouddhisme refuse cette dualité, considérant qu'elle n'est pas réaliste : les  bouddhistes croient que la réalité ou Dharma est au-delà des concepts de bien et de  mal; c'est-à-dire qu'elle contient autant l'un que l'autre sans séparation, dans un état  pré-conceptuel. Tenter d'éliminer la moitié de la réalité paraît, par définition,  irréalisable. Bien plus encore, l'effort conscient  d'éliminer la moitié de la réalité est aussi une  sorte d'affirmation de l'existence de précisément  cette partie qu'on voudrait enlever. Le Bouddhisme affirme l'importance centrale de la  morale et de la conduite éthique dans toutes les  domaines de la vie. Mais cette morale intègre les  principes de causalité et du conditionné : seul  l'instant présent est réel ; passé et avenir, n'ont pas d'existence réelle. La conduite  doit donc être bonne au moment présent, ce qui est d'une très grande exigence et de  la responsabilité de chacun à chaque instant. Se conduire bien va permettre d'améliorer son karma pour sortir du samsara.  Le bouddhisme offre une vision métaphysique de la structure du monde et de l'au-delà  Le bouddhisme reconnaît l'existence d'un  monde divin, immatériel, complexe, à  plusieurs étages. Les dieux védiques ne sont  pas absents du Canon qui reconnaît leur  pouvoir et permet leur culte lorsque celui-ci  ne les détourne pas de l'éthique. La conception bouddhique de l'univers  reconnaît l'existence de six classes d'êtres  ou destinées. Deux possèdent un corps  matériel (humains et animaux), quatre un  corps mental mais encore formel (êtres des  enfers, fantômes, titans et dieux). Il est  possible, par la transmigration, de faire l'expérience de toutes ces catégories d'existences. L'état  divin peut être notre futur comme notre passé : il est temporaire et se termine par une  renaissance. C'est par les " séjours purs ", au sommet du monde de la forme pure, qu'il est  possible d'accéder au nirvana. On peut alors s'interroger sur l'absence d'un Dieu créateur. Le Canon rapporte qu'interrogé sur l'existence d'un Dieu  créateur, le Bouddha reste silencieux. Pourtant il affirme clairement : "Je connais le premier commencement des choses",  puis " En ce corps long d'une brasse, avec ses perceptions et ses pensées, je proclame le monde, ainsi que l'origine du  monde, la cessation du monde et la pratique qui mène à la cessation du monde. "  Le Bouddha explique son silence : " La spéculation sur le monde, moines, est impensable, ne  doit pas être cultivée, car elle conduit à l'angoisse et à la douleur ". En fait, le Bouddha Sakkhiamuni n'est qu'un bouddha parmi d'autres, venu sur terre pour nous  enseigner le Dharma. D'autres l'ont précédé dans l'univers. D'autres lui succèderont, comme  Maitreya, le bouddha de l'amour bienveillant, annoncé comme le cinquième bouddha de notre  "kalpa" (ère). Le kalpa, qui est lune des unités de temps bouddhiste dure plus de quatre  milliards d'années. Le bouddhisme se situe donc à une échelle différente des autres traditions  religieuses : celle de l'univers. Cette dimension "universelle" est maintenant confortée par les  découvertes de la science. Le parallèle entre la mécanique quantique et le principe  d'impermanence n'est qu'un exemple parmi d'autres .  Le bouddhisme offre un idéal réunissant le corps et l'esprit  La méditation, pratique essentielle du bouddhisme, réunit le corps et l'esprit.  La " Pleine conscience " permet, avec un peu de pratique d'apprécier et de  vivre pleinement chaque minute, chaque seconde de la vie quotidienne, de  retrouver calme et paix intérieure.  Il est aujourd'hui démontré que la méditation permet au corps de mieux  gérer le évènements auxquels il doit faire face. Des expériences (analyse du  cerveau par IRM) ont montré que des lamas en méditation faisaient appels à  des zones de leur cerveau que le commun des mortels n'utilisent jamais.    Le bouddhisme, les fidèles, le clergé et les rites  Comme les autres religions, le bouddhisme a un clergé et  une assemblée des fidèles, le sangha.  Les grandes religions théistes s’appuient sur des textes  sacrés : le christianisme sur les évangiles, le judaïsme sur  la Thora et l’Islam sur le Coran . Le dharma bouddhiste est  issu du Canon pali rassemblé dans les Trois Corbeilles  (Tipitaka). Ces textes ont été complétés par d'autres pour  les écoles Mahayana. Dans les religions révélées, la relation avec Dieu se fait par  la prière. La méditation ou  les mantras participent de la  même intention.  Comme les autres grandes religions, le bouddhisme à une liturgie pour chacun des véhicules. Les  cérémonies religieuses donnent lieu à des rituels codifiés et souvent symboliques. Le bouddhisme  tantrique y ajoute une dimension ésotérique.  Dans le christianisme romain, les saints ont une place prépondérente. Pour le pratiquant bouddhiste, l'idéal est l'arhat (le  saint complètement délivré) dans le Theravada ou le bodhisattva dans le Mahayana et le Vajrayana, le saint rayonnant qui  fait voeu de demeurer dans le samsara pour aidrer les autres êtres à se libérer de la douleur.  Nous pourrions multiplier les comparaisons de ce type.  Le bouddhisme a une dimension philosophique incontestable   Des parallèles entre la philosophie bouddhiste et certaines philosophies occidentales ont été souvent faits. Le concept d'impermanence rapproche le bouddhisme de la philosophie d'Héraclite .   De son côté, Edward Conze relève la proximité du Madhyamika avec le scepticisme antique :  Être libre de passions est le grand but de la vie, et l'équanimité est l'attitude qu'on doit s'efforcer de  cultiver. Toutes les choses extérieures sont " les mêmes, il n'y a pas de différence entre elles ", et le  sage ne distingue pas entre elles. Pour gagner cet état d'indifférence on doit sacrifier tous les  instincts naturels. Toutes les opinions théoriques sont sans fondement et il faut complètement  s'abstenir de formuler des propositions ou des jugements.   Dans la philosophie de Pyrrhon, il y a la même distinction entre la vérité conventionnelle, les  apparences (phainomena) d'un côté, et la vérité ultime (adêla) de l'autre. La vérité ultime est  complètement cachée : "Je ne sais pas si le miel est doux, mais je suis d'accord qu'il m'apparaît  tel."[]  La conception bouddhique relative au non-soi est très proche de celle de David Hume : le moi est  supposé stable et substantiel, alors que toutes les impressions sont variables. Il n'y a donc pas  d'impression à partir de laquelle nous pourrions construire une idée du moi. Le " moi " est une idée  "fictive". Jean-François Revel rapproche certains aspects de la philosophie bouddhiste de celle de Kant : " Je  suis frappé par l'analogie de cette théorie avec le kantisme : le phénomène n'est pas la chose en soi,  c'est pourtant notre réalité. " Dans la lignée de Kant, Schopenhauer est sans doute le philosophe occidental dont la doctrine est la  plus proche du bouddhisme (encore mal connu en Europe quand il écrit son œuvre majeure Le Monde  comme volonté et comme représentation), notamment du Cittamatra, avec des  thématiques telles que le vouloir-vivre, la compassion envers toute existence,  la Mâyâ, etc. La sympathie de Schopenhauer pour le bouddhisme ne va pas  cependant sans certaines confusions avec les autres philosophies indiennes. Enfin, Nietzsche voit le bouddhisme comme une variété de nihilisme qui développe une philosophie  d'acceptation de la vie "comme elle est" et de culture de soi-même très similaire.  Un phénomène de mode qui a occulté la dimension " religion " du bouddhisme  Le bouddhisme est resté longtemps une curiosité intellectuelle. L'idée d'une communauté  monastique européenne demeura impensable jusqu'à la fin des années soixante, avec le  mouvement anticonformiste américain.  Un phénomène de mode qui a occulté la dimension « religion » du bouddhisme  Le bouddhisme est resté longtemps une curiosité intellectuelle en occident. L'idée d'une communauté monastique  européenne demeura impensable jusqu'à la fin des années soixante, avec la naissance du mouvement anticonformiste  américain.  Cette diffusion du bouddhisme en Europe s'est faite d'une part par la création de communautés, à l'initiative de maître  asiatiques invités en Europe, d'autre part par une "vulgarisation" très superficielle au travers des tendances new age.  Les occidentaux, à la recherche de nouvelles valeurs dans un monde de plus en plus  incertain, se sont  appropriés  une  partie  de  la démarche expérimentale du bouddhisme  pour tenter de résoudre un certain nombre de leurs problèmes de mal-être ou de stress...  Cette  vision  très  restrictive  a  généré une image très parcellaire du bouddhisme, le  ramenant à ce que certains appellent une philosophie par opposition au religieux.    Conclusion  Le Bouddhisme est incontestablement une religion. Il offre une morale, une façon de vivre, des rites, un idéal réunissant  le corps et l'esprit, une vision métaphysique de la structure du monde, de la vie, de la mort et de l'au-delà. Il permet donc  de se relier à autrui, à l'univers, à son principe fondamental, et de rassembler les conseils pratiques de cette mise en  œuvre. C'est son caractère fortement rationnel et expérimental, ainsi que l'absence apparente d'un Dieu créateur, qui  troublent souvent les occidentaux et lui font parler plutôt de philosophie. Ceci donne au bouddhisme une   dimension d'ouverture et de  tolérance, et contribue à développer   une attitude respectueuse à l'égard  des autres traditions religieuses.  Si le bouddhisme ne parle pas de Dieu, c'est qu'il en est issu. Il nous pose le vrai problème de ce qu'est Dieu à l'échelle de  l'univers.  Les trois grandes religions monothéistes ont la même version de la création : un monde créé en six jours par Dieu.... Au  moment où l'on découvre des traces de vie sur d'autres planètes, l'église catholique commence à se poser de vraies  questions. Le bouddhisme nous conduit à penser que Dieu est en même temps l'essence de l'univers et l'univers lui même. Le  principe d'impermanence s'explique alors parfaitement.  L'homme fait son parcours karmique avant d'atteindre le nirvana est de se fondre avec l'essence de l'univers dont il est  issu.  Le bouddhisme est donc la seule religion vraiment universelle    Effectivement le bouddhisme est  une religion à composante  philosophique importante, mais ces  deux qualificatifs sont  complémentaires.  Le bouddha déclare que la question  du Dieu créateur est en dehors du  champ de sa voie spirituelle. Mais la  réalité de l'absolu, au-delà de l'être  et du non être est évidente dans le  Canon pali comme dans les écrits  tardifs. Le Bouddha n'est qu'un chaînon  dans une lignée de bouddhas  passés et futurs. Maitreya, le futur  Bouddha attend son heure au  paradis des " dieux satisfaits ".  Le Bouddha ne demande pas de  croire, d'adhérer à un texte, mais  d'expérimenter et de vérifier par la  pratique les bienfaits de l'éthique, la  paix engendrée par la méditation et  la liberté résultant de la vision  pénétrante. Cela nécessite une  attitude active : la confiance et la  foi ne suffisent pas. Le système de pensée est libre de  dogmatisme, les enseignements  étant comparés, selon une  métaphore bien connue, à une  barque permettant de passer d'une  rive à l'autre, de la confusion à la  lucidité transcendante. 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